Ecole, Genre et
Travail
KARIMOVA Zhanna - Doctorante de la chaire de politologie et disciplines
socioéconomiques auprès de l’Institut de, Master et Doctorat /PhD/ de l’Université Kazakhe Nationale Pédagogique d’Abaï
Pour poursuivre les idées exposées dans la
section précédente, nous prêterons ici plus d’attention sur le rapport de genre à l’analyse des questions posées dans notre travail. D’abord, puisque les termes genre
et sexe reviendront souvent ultérieurement,
il importe de les apporter une définition.
Les notions de « sexe »
et « genre » ne sont pas identiques. Il n’y a pas d’adéquation entre eux. Il s’agit plutôt de corrélation entre
ces deux notions. Ainsi, la variable sexe permet de diviser les gens en deux
classes sexuelles : homme-femme, garçon-fille,
il-elle, mâle-femelle. Le classement selon le sexe est une
pratique ordinaire dans toutes les sociétés. Et il semble qu’il y a aucune raison de nier que
ces termes « homme » et « «femme » ou « il » et
« «elle » restent parfaitement adéquats pour désigner les individus car cette « opposition
« mâle-femelle » correspond à une division sociale fonctionnant en pleine harmonie
et en accord réaliste avec notre « héritage biologique ...» [Goffman, 2002, P. 45]. Ce classement initial suppose la socialisation différenciée, le classement des
comportements selon le sexe, division du travail en fonction de sexe, manière spécifique de sentir et
d’agir. Et l’ensemble de ces spécificités constitue le genre. Dit autrement, le genre
est une construction sociale qui se base sur les différences biologiques entre les hommes et les femmes. De
plus, la catégorie de genre comme un ensemble de caractéristiques liées au sexe ou
classe sexuelle étant une catégorie
d’analyse des inégalités entre les hommes
et les femmes dans les divers domaines de la vie sociale peut mettre un peu de
clarté sur le paradoxe décrit
auparavant.
A l’instar des premières recherches sur le genre qui ont permis de relier
les questions de sociologie de la famille et celle du travail, l’analyse de
l’insertion professionnelle des femmes, compris comme un processus qui se déroule après l’obtention
de diplôme de fin d’études et
prend fin lorsqu’une femme cesse de consacrer du temps à la recherche d’emploi ou à des études en vue d’accéder à un autre emploi,
rend possible, à son tour, le croisement de genre, travail et éducation. En effet, il y a plusieurs travaux effectués dans le but d’éclaircir la
liaison « formation-emploi » et rapprocher ces domaines.
« Les progrès enregistrés par les filles
à l’école
constitutent-ils un fait social fondamental susceptible de transformer la
promotion des femmes ? » – telle est la question posée presque dans tous les ouvrages dédiés aux analyses de
liaison entre formation et emploi. Comme
la plupart de ces recherches l’ont établi, depuis
quelques années les filles accèdent plus à l’enseignement de tous les niveaux et réussissent mieux que les garçons. Et pourtant ces progrès scolaires n’entraînent pas
automatiquement la promotion des femmes. En effet différents arguments peuvent être avancés pour expliquer ce fait. Examinons les travaux considérés comme basiques
dans la discussion autour de cette question, plus particulièrement ceux de Christian Baudelot, Roger Establet et Marie
Duru-Bellat.
La socialisation
différentielle : Christian Baudelot, Roger Establet et
l’héritage bourdieusien
Pour Bourdieu, l’influence de
l’origine sociale sur les chances scolaires des jeunes est plus significative
que celle de sexe. Car, si le désavantage qui tient
au sexe s’exprime principalement par la condamnation aux facultés moins rentables, le désavantage qui tient à l’origine sociale
des étudiants est le plus lourd de conséquences puisqu’il se manifeste à la fois par l’élimination
pure et simple des enfants issus des couches sociales les plus défavorisées et par la
restriction des choix offerts à ceux d’entre eux
qui échappent à l’élimination.
Pour Establet et Baudelot, le
privilège explicatif de l’origine sociale tient au caractère universel de son action, à ses effets cumulatifs sur les carrières et à sa stabilité dans le temps. Peut-on en dire autant de l’effet
sexe ? Establet et Baudelot en doutent. Pour eux, si dans les années soixante on a pu dire que la condition féminine est un handicap universel qui ajoute ses effets
à ceux de l’origine sociale, ajourd’hui ce n’est pas le
cas. Ainsi, « même dans les situations où les filles sont désavantagées, on ne
peut plus parler de cumuls des handicaps. En fin de cinquème, les filles, à niveau
scolaire égal, subissent des orientations plus défavorables que les garçons. Le fait est incontestable, et il est constant à tous les paliers d’orientation. Mais il ne doit pas
faire oublier que les filles ont à ce niveau
acquis la réussite scolaire supérieur. Le
phénomène est à double face : avantagées par acquisition, désavantagées par l’orientation » [Baudelot & Establet, 1986, P. 145]. Entre le
sexe et l’origine sociale on observe donc aujourd’hui des interactions qui ne
se réduisent pas à des simples
additions.
La démocratisation ou le déplacement de la barrière vers le haut
Comme bien des indices nous le
montrent, à partir des années soixante
on observe deux faits sociaux :
1
une progression spectaculaire
des scolarités féminines ;
2
un maintien des ségrégations entre les
filles et les garçons en matière de leur
orientation.
Ainsi, longtemps écartées du système scolaire,
les filles ont devancé les garçons et
rattrapé leur retard. A l’école comme à l’université, elles sont
désormais plus nombreuses que les garçons et réussissent mieux
(81% des filles contre 75,8% des garçons) [CHARPIN, 2004, P. 66]. Elles redoublent moins et sont très souvent en avance dans leur scolarité. Mais cette réussite
s’accompagne du maintien d’une double ségrégation sexuée: horizontale d’une
part – quand on trouve plus de filles que de garçons dans les filières littéraires et
verticale de l’autre – quand on voit la relativement faible progression des
filles dans les filières d’excellence (C.P.G.E scientifiques) [Marry, 2000, P. 292].
Pour Establet et Baudelot, l’évolution de scolarité féminine se fonde sur la réalisation, dans le cadre scolaire, des modèles traditionnels inculqués aux filles.
Ainsi, si jusqu’aux années soixante on a perçu la moindre représentation des filles au niveau de l’enseignement supérieur comme une cause générale de leur moindre insertion dans le marché du travail, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Et de
ce point de vue, il est tout à fait raisonable de
penser de déplacement de la même barrière du niveau plus bas vers le haut. Autrement dit, il
s’agit de déplacement des inégalités de l’accès à l’enseignement supérieur vers
les inégalités de l’accès à certaines filières. Mais si l’on entend le terme « démocratisation » dans le sens de massification, il
y a eu démocratisation par l’accès d’un plus grand nombre des jeunes issus des différentes couches sociales aux différents niveaux de l’enseignement.
L’effet de socialisation différenciée et le rendement différentiel de la réussite scolaire.
La meilleure réussite scolaire des filles n’entraîne pas automatiquement leur meilleure promotion. Dans
l’explication de cette spécificité scolaire des
filles Establet et Baudelot mettent l’accent sur l’effet de socialisation différentielle des filles et des garçons. De la sorte, « chaque sexe trouve dans la
culture qui lui est traditionnellement inculqée des moyens spécifiques à s’adapter à l’institution scolaire » [Baudelot & Establet, 1986, P. 155]. Encouragées à la docilité, la proprété, l’attention à autrui, la persévérance, les filles sont mieux adaptées à la culture
scolaire, ce qui explique leur meilleure réussite
globale. Ainsi, « les stéréotypes sociaux préparent mieux
les filles – statistiquement, s’entend – à s’intégrer au monde social de l’école, et peut-être d’autant
mieux que l’école est davantage scolaire, plus éloignée des vacarmes de la
production, société publique sans doute
mais, par biens des aspects, prolongement de la vie familiale » [Baudelot & Establet, 1986, P. 153]. En temps
que les garçons apprennent la compétition, l’affirmation de « moi ». « A former leur moi
dans le conflit, les garçons apprennent à ne pas
prendre trop au sérieux les verdicts scolaires, à acquérir une confiance en
soi indépendante de ce verdict » [Baudelot & Establet, 1986, P. 154].
Somme toute, le raisonnement de
Baudelot et Establet réside sur l’effet de structure ce que nous permet les
percevoir comme les adeptes de l’école
bourdieusienne. De ce point de vue la critique adressée à ces auteurs ne
semble nouvelle. Elle réside sur le fait que la socialisation différenciée une fois assurée par la famille ignore la présence de la conscience individuelle chez des agents.
Les différences scolaires : l’« usage différentiel » de l’appareil de formation
Dans son ouvrage principal consacré au problème de différences
scolaires entre les filles et les garçons, Marie
Duru-Bellat reconnaît, à l’instar de
Establet et Baudelot, le primat de l’appartenance sociale dans l’explication de
différences de la réussite
scolaire existante entre les filles et les garçons depuis les années soixante. Mais à la différence de Baudelot et Establet, pour Duru-Bellat,
l’influence de variable sexe va augmenter à mesure qu’on
monte dans la hiérarchie scolaire. Ainsi, d’après Duru-Bellat, « les différenciations fines liées au sexe se creusent au fur et à mesure du déroulement du cursus, notamment à partir du moment où les choix à finalité
professionnelle interviennent » [Duru-Bellat, 2004, P. 40].
Pour Duru-Bellat, les sources des différences scolaires entre les filles et les garçons sont à chercher du
côté des modes de
socialisation et des pratiques éducatives différenciées. Avant d’examiner
le rôle de la socialisation familiale arrêtons-nous sur les différences scolaires entre les filles et les garçons qui se construisent au sein de l’école.
L’école comme un espace d'interactions
D’après Duru-Bellat, la salle de classe est un lieu où le sexe module les interactions. Et si les recherches
précédentes ont fait
l’accent sur les différences d’interaction selon le sexe, Duru-Bellat
conclut que ce sont ces différences qui
expliquent les inégalités de réussite scolaire entre les filles et les garçons. Il faut noter ici que les interactions dans la
salle de classe peuvent être examinées au niveau
des relations «mâitre-élève » et « élève-élève ».
Ainsi, les résultats d’ observation des interactions « maître-élèves » menées dans la
salle de classe ont montré que « les maîtres
recourent très fréquemment aux
oppositions entre les filles et les garçons, comme
technique de « management » de la classe mobilisant ainsi ce qui est
supposé typique des uns et des autres, et rapellant
constamment aux élèves qu’ils sont
avant tout des garçons ou des filles » [Duru-Bellat, 2004, P. 84]. Dit autrement, la réaction des enseignants aux comportements d’aggressivité ou d’agitation de la part des élèves différencient souvent selon leur sexe – plus douce
quand il s’agit des filles ; les maîtres
consacrent plus de temps aux garçons (les
deux-tiers de leur temps). A travers de ces interactions, les enseignants
expriment les attentes différentes en fonction
de sexe de l’élève. Plus précisement, selon les résultats d’observation, les enseignants considèrent que les garçons ne
manifestent pas entièrement tous leurs possibilités. A l’image de certains chercheurs, tel comportement
des enseignants peut amener à l’affaiblissement
de l’estimation de soi chez des filles. Somme toute, pour Duru-Bellat, les différences de comportements des enseignants sont le reflet
des différences de comportements des élevès qui prennent ses
sources dans la socialisation familiale.
Quant aux interactions qui se nouent au sein de la classe, comme
l’indique Duru-Bellat, les comportement des élèves correspondent tout à fait aux rôles considérés comme adéquat vu leur
sexe. Par exemple, « ...bien réussir à l’école peut être dénoncé comme féminin ; l’alternative
envisageable par les garçons consiste souvent soit à rejeter l’école en
affichant des comportements virils...ou en se montrant frondeurs et contestataires,
soit à réussir dans les matières masculines » [Duru-Bellat, 2004, P. 94]. Ainsi, on voit bien comment les différences des interactions selon le sexe peuvent résulter les différences de la
réussite scolaire.
La socialisation familiale et
les différences scolaires
La famille est le premier lieu dans lequel l’enfant fait l’expérience de la différence des
sexes. Comme les psychologues sociaux le soulignent, dès 2-3 ans les enfants ont déjà des connaissances
substantielles sur les activités, professions,
comportements et apparences stéréotypiquement dévolues à chaque sexe. Ainsi, à cet âge des enfants associent à des professions stéréotypées significativement
plus de prénoms correspondant au sexe des personnes qui
habituellement exercent cette profession que des prénoms correspondant au sexe des personnes qui
n’exercent que rarement cette profession. Donc, des prénoms masculins sont plus souvent associés aux métiers de
charpentiers ou médecins, en temps que des prénoms féminins sont plus
souvent associés aux métiers
d’infirmières et d’enseignantes auprès de jeunes élèves [Blaske, 1984,
795]. En effet, dès sa
naissance et même avant, l’enfant est pensé, projeté, et agi en
tant que fille ou garçon par ses parents, et plus largement par son
entourage familial et extra-familial (des médias, des
pairs etc.). En conséquence, son environnement est défini en fonction de sexe assigné à la naissance : jouets, jeux, activités d’apprentissage, interactions, pratiques éducatives, etc., sont autant de modalités par lesquelles les partenaires de l’enfant vont
interagir avec lui et lui signifier son appartenance groupale [Dafflon Nouvelle, 2006, P. 27].
Examinons les pratiques familiales et leurs effets auprès des enfants, plus particulièrement sur les différences scolaires
entre eux, étudiées par Duru-Bellat
dans son ouvrage « L’Ecole des filles : quelle formation pour
quels rôles sociaux ? ». Ainsi, d’après Duru-Bellat, les parents manifestent très souvent les aspirations différentes quant aux études de ses
enfants. Mais cela ne veut pas dire, que les parents valorisent plus ou moins
les études pour leur fille ou pour leur fils, puisque, au
moins, les différences d’investissement éducatifs restent minimes. Les différences liées au sexe de l’enfant se manifestent plutôt au niveau de conception parentale de ce qui convient
à un garçon et à une fille. En outre, pour Duru-Bellat, on observe de
très fortes différences selon
les sexes en ce qui concernent les professions citées par les parents comme désirable pour leur enfant. Ainsi, très peu de professions sont citées comme convenant aussi bien aux garçons qu’aux filles. « Les parents déclarent, au niveau des principes, souhaiter voir leurs
filles s’engager dans une carrière professionnelle
ambitieuse : mais, dans le même temps, ils
restent attachés à l’idée qu’une femme se doit avant tout à ses enfants... » [Duru-Bellat, 2004, P. 127]. De la sorte, l’image sociale présentée aux enfants par
leurs parents se caractérise encore aujourd’hui par une relative asymétrie entre les sexes. Et cette asymétrie va être source de
différences scolaires entre les filles et les garçons. On peut ainsi s’apercevoir que les choix féminins des spécialités moins prestigieuses (en particulier celui des
lettres) à niveau supérieur de réussite scolaire sont rationnels, adaptés aux rôles sociaux,
assignés aux femmes dans la sphère famililale, éducative et professionnelle.
Bibliographie
1.
GOFFMAN Erving (1977) Arrangement des sexes Paris :
La Dispute.
2.
BAUDELOT Christian, ESTABLET
Roger (1986) Allez les filles! Edition du Seuil
3.
CHARPIN Jean-Michel
(Dir., 2004) Femmes et Hommes : regards sur la parité – Paris : INSEE
4.
MARRY C. (2000) Filles et Garçons à l’école in Van Zanten
(dir.) L’école,
l’état des savoirs Paris :
La Découverte pp. 291-344
5.
DURU-BELLAT Marie (2004) L’école des filles : quelle formation pour quels rôles sociaux ? Paris : L’Harmattan
6.
BLASKE D.M. (1984) Occupational
sex-typing by kindergarten and fourth-grade children Psychological Review,
88, pp. 795-801
7.
DAFFLON NOUVELLE (2006) Anne Filles-garçons : socialisation différenciée ? Grenoble : PUG